ANNA KARINA : « Quand je suis triste, je me cache »

– ANNA KARINA : « Quand je suis triste, je me cache » –

Anna Karina est décédée à l'âge de 79 ans, emportant avec elle un pan entier de la Nouvelle Vague. Un jour, Coco Chanel lui a proposé d’arrêter d’être Hanne Karin Bayer pour devenir Anna Karina. À partir de là les choses sont allées vite : icône inséparable de Jean-Luc Godard à seulement 21 ans, actrice au centre d’une des plus grosses polémiques proto Mai 68 avec La Religieuse, de Jacques Rivette. Mais cette Danoise qui aimait chanter, peindre et regarder le sport a aussi fait beaucoup plus que ça. Nous l'avions rencontré il y a pile deux ans, en décembre 2017. Discussion à bâtons rompus avec une femme à part. Par Arthur Cerf et Fernando Ganzo. Photos : Mathieu Zazzo

Le film que vous avez réalisé en 1973, Vivre ensemble (édité récemment en DVD), est resté quasi invisible pendant longtemps. Pourquoi ?
Il y a très longtemps, quand mon distributeur est mort, il été a vendu. Ça faisait plus de dix ans qu'onavait l'idée de le sortir en DVD. Mais il ne se passait rien. Je suis ravie maintenant : il a été montré au festival Lumière de Lyon et va sortir en DVD, et au cinéma aussi… À cette époque-là, je crois bien que j'étais la seule comédienne – je dis bien « comédienne », pas « femme » – à réaliser un film. En 1972, c'était un peu : « Qu'est-ce que c'est que ça ? Une comédienne qui fait un film ? » Alors que j'avais pas mal de relations puisque j'avais travaillé avec des gens comme Cukor, Visconti ou Godard, à qui je dois tout. Donc j'avais quand même appris des choses. Et je me suis dit : « Pourquoi je ne ferais pas mon petit film avec mes petits sous à moi ? » Et je l'ai produit avec l’argent que j'avais gagné aux Etats-Unis, en faisant Justine avec Cukor.

C'est vrai que vous l'aviez écrit sous pseudonyme masculin, ce film ?

Au départ oui. Comme les femmes étaient très mal vues, je me suis dit que j'allais mettre un nom un peu…

“Michel Wally” ?
Ah, c'était ça ? Possible. Après j'ai été sélectionnée à Cannes, pour la Semaine de la critique, je suis tombée des nues. Ils étaient une vingtaine à l'époque à voter pour des films qui représentaient tous les pays du monde, et pour la France… c'était Vivre ensemble. Si mon souvenir est bon, je n'ai pas eu de trop mauvaises critiques. J'avais vraiment bien calculé mon coup parce que je n'avais pas beaucoup de sous, et ce n'est pas un film qui a coûté très cher. J'avais l'habitude de ça, avec Jean-Luc et d'autres, on se changeait dans les toilettes, dans les cafés…

 
Une bonne partie du film se passe à New York, vous y êtes restée longtemps ?
Une année entière. L’époque était très intéressante par rapport à Nixon, au Vietnam… et j’ai inclus tout ça dans mon film, je l’ai un peu volé. J'avais un contrat avec le Chelsea Hotel, qui maintenant est devenu très chic mais qui était un peu dans la délinquance à l'époque. Il y avait beaucoup de drogués. Les chambres étaient immenses, avec six lits dans la même pièce. Comme on n’était que cinq personnes à avoir fait le voyage, j'ai dit aux garçons : « Vous prenez tous la grande chambre, vous avez chacun un lit, une douche, et comme ça, vous aurez plus d'argent pour vous. » Le directeur de l’hôtel était souvent angoissé parce qu'il y avait une overdose par nuit. Chaque matin vous pouviez le voir, à côté de l’ambulance, habillé tout en noir avec sa cravate. Nous, on n'a pas touché à tout ça parce que ce n'est pas trop mon truc… J'ai vu plein de gens de mon âge autour de moi qui sont partis là-dedans. C'est triste. Mais Vivre ensemble, ce n'est pas seulement un film sur la drogue, c'est surtout le portrait d'une femme irresponsable qui devient responsable une fois qu'elle est enceinte et qu'elle met un enfant au monde. Michel Lancelot joue un professeur sérieux et le film raconte comment ils changent tous les deux. Lui tombe dans la drogue et elle devient responsable. 


Le titre du film, Vivre ensemble, fait écho à Vivre sa vie et dans des interviews, vous avez dit qu'il était difficile de vivre avec Jean-Luc Godard. C'est aussi ce que reproche votre personnage au protagoniste, non ?
J'ai plutôt dit que je ne comprenais pas sa façon de vivre. Parce que j'avais dix ans de moins que lui ! J'étais mineure quand je l'ai épousé et je n'avais que lui au monde ! Je n'avais personne d'autre. Je n'avais pas de copains à l'époque. Quand il disparaissait, il me laissait seule sans un sou. Ce n'était pas facile, quand même, pour une fille étrangère. À l'époque, on n'avait pas de carnet de chèques, il n'y avait pas de smartphone. Si le téléphone sonnait, il n'y avait pas de répondeur non plus. Donc si on n'était pas là devant le téléphone quand ça sonnait, on ne pouvait pas savoir.

Mais vous avez fini par vous faire des copains grâce à cette relation aussi ?
Oui, bien sûr ! Douchet, Langlois, tous ceux que je voyais à la Cinémathèque. D'ailleurs, j'étais la seule qui avait le droit de venir, parce que j'étais avec Jean-Luc. Les autres ne venaient pas avec leurs femmes. Je ne parlais pas, moi, surtout avec les amis des Cahiers. J'apprenais. J'étais curieuse. J'avais 18 ans à l'époque, je ne l'ouvrais pas. Mais à la Cinémathèque, c'était la joie ! Je m'amusais beaucoup. Je voyais tous les films. J'adorais ça. J'avais quand même déjà fait un court métrage à 14 ans, au Danemark, et de la figuration. J'avais chanté aussi. Mais je crois qu'après Le Petit Soldat, les gens m'ont vue comme une jeune femme triste. Alors que j'étais plutôt très gaie dans la vie. À l'époque, je chantais tout le temps, je dansais dans la rue. J'étais joyeuse. Parce que quand je suis triste, je me cache et je ne parle pas. 

Quand Godard n'était pas là, vous vous cachiez ?
Au bout d'un moment, j'ai commencé à sortir avec des potes. Mais au départ, non, je n'avais pas d'argent. Et il était quand même spécial. Il disait : « Je vais aller m'acheter des cigarettes. » Des Boyards maïs, la cigarette qui pue. Vous connaissez ? Il n'y a rien de pire. Mais il revenait trois semaines plus tard ! Sans nouvelles. Alors je l'attendais, je l'attendais, je l'attendais. Je m'inquiétais. Où est-il ? Qu'est-ce qu'il fait ? Est-ce qu'il a eu un accident ? Un problème ? Non. Il avait été voir Rossellini en Italie, Bergman en Suède, Faulkner en Amérique. Je le devinais grâce aux cadeaux avec lesquels il revenait. Par exemple, les vêtements que je porte dans Pierrot le fou, c’est un cadeau qui venait de la Suède.

D'ailleurs il voulait vous faire tourner avec Faulkner, non ? 
Oui, il voulait faire ce film avec Richard Burton. J’ai fini par travailler pendant dix jours avec lui sur le tournage de La Chambre obscure (1969). Il était gentil, il m'a offert un bouquet d'œillets. Quand j'ai vu ça, j'ai dit : « Oh là là, ça porte malheur. Offrir des œillets à une comédienne… » Mais, cela ne s’est pas arrêté. Puis il a été viré par Tony (Richardson) parce qu'il était toujours saoul et en retard. Elizabeth Taylor était là et elle n’a pas aidé, parce qu’elle était vraiment hystérique… Il ne faut peut-être pas le dire mais c'est la vérité. J'ai dit à Richardson : « Je t'en supplie ne le laisse pas partir ! » Parce qu'au fond, Burton était gentil, je m'entendais bien avec lui. Mais Richardson a engagé Nicol Williamson qui était aussi ivrogne que l'autre sauf qu'il avait quand même moins de talent…

Pour revenir aux robes, la première que Godard vous a offerte, c'est celle du Petit Soldat 

Oui, c'est le premier cadeau. Après la première nuit. Il a disparu le matin. Moi je ne le connaissais pas encore et je me disais : « Je l'attends, je l'attends pas ? Qu'est-ce que je fais ? J'ai probablement toute l'équipe contre moi maintenant parce que j'ai quitté quelqu'un pour partir avec lui. » En fait il est arrivé vers 10 h 45, avec un gros paquet. J'ai ouvert et il y avait cette robe blanche, brodée de fleurs. J'ai versé une petite larme. C'était très beau. C'était romantique. 

C'est vrai qu'il vous écrivait des mots d'amour sur des tickets de cinéma ? 
Oui c'est vrai. Il écrivait beaucoup de lettres d'amour. Mais il me faisait des coups terribles aussi. Par exemple, il me disait : « On part sur la Côte d'Azur ! Toi et moi ! » Formidable. Je fais une valise en cinq minutes, on part avec sa voiture, la Ford décapotable, je chantonne. Et à 300 km de Lyon, il dit : « Ecoute Anna, je viens de réfléchir, en fait j'ai rendez-vous avec Truffaut. Je voudrais lui parler d'un truc très important. Ça t'embête pas qu'on rentre à Paris ? » Moi, un peu triste : « Non évidemment, c’est pour ton travail, c'est important. » D'accord. Là, je chantonne un peu moins. À 100 km de Paris, il me dit : « Je vois bien que t'es triste, on va quand même partir sur la Côte d'Azur. » Donc on repart vers Lyon. À 100 km de Lyon, il me dit : « Non mais c'est vraiment incroyable, tu ne pouvais pas me laisser partir pour mon rendez-vous avec Truffaut !? T'as pas compris que c'est vachement important pour moi ? » Je lui dis : « Ecoute, c'est bon, on repart à Paris mais arrête, arrête de réfléchir comme ça. Fais ce que t'as envie de faire. » Évidemment, là je ne chante plus du tout. Je déchante. Alors tout à coup, il dit : « Oui, mais je vois bien que tu fais la gueule» Alors on retourne, direction Lyon. Je dis : « On est presque arrivés à Paris et tu veux encore repartir ? » Là, je deviens folle de rage, il est 5 heures du matin, depuis le temps qu'on fait la route. Je donne des coups de pied à la voiture. « Arrête la voiture ! » Je crie, je hurle. Là, il m'avait brisé la tête. Evidemment, on a atterri à Paris, vers 7 heures ou 8 heures du matin. Et il est allé voir Truffaut, enfin je suppose. Et tout était comme ça. 

Ça vous rendait triste ? 
Attendez, si on vous traite comme ça, vous ne trouvez pas ça bizarre ? Surtout un mec qui a dix ans de plus que vous, qui sait marcher sur les mains, faire des sauts périlleux, qui court assez vite et nage comme un poisson. Toujours en train de dire aux acteurs : « Vous n'êtes pas assez sportifs… »

Il paraît que le tournage d'Une femme est une femme était rythmé par l'humeur de votre couple. 

Ah non, je ne sais pas qui a inventé ça. Ce n'est pas vrai. On a tourné en studio. Il avait fait construire l'appartement rue Saint-Denis. Il voulait que ce soit exactement pareil. C'est lui qui ouvrait et qui fermait la porte du studio. Donc personne ne pouvait rien toucher. Mais il n'y a pas eu de dispute – les gens aiment bien fabriquer des histoires là où il n'y en a pas. Pour moi, c'était une chance extraordinaire. Je venais de jouer dans Ce soir ou jamais, de Michel Deville. Tous les matins, je devais aller tourner dans les studios à Guyancourt. Jean-Luc m'accompagne, vient me chercher le soir, et, à chaque fois, il me dit : « Cette merde ! Comment tu vas t'en sortir en disant ce dialogue de Nina Companeez ? C'est pas possible, c'est d’un cul-cul la praline ! » Et je me défendais : « Si, si, moi j'aime bien ! » Le film est terminé, Jean-Luc le voit en projection privée. Il trouve ça formidable, alors qu’il n’avait pas arrêté de le critiquer. C’est à ce moment-là qu’il se prépare pour Une femme est une femme, et il a déjà vu plein de comédiennes pour le rôle. Mais il n'avait jamais pensé à moi. Et il me dit : « Ecoute, tu veux faire le film avec moi, avec Brialy et Belmondo ? » Et voilà ! Et j'ai eu un prix à Berlin pour la meilleure actrice ! Génial, non ?

C’est à ce moment-là que vous faites ce voyage en Argentine pour présenter Ce soir ou jamais ?

Je n'aurais jamais dû faire ce voyage. Parce que j'étais enceinte. Pour aller en Argentine, on fait escale au Groenland. Je crois que ça nous a pris deux jours pour arriver à Buenos Aires. Ensuite, pour aller à Mar del Plata, dans le Sud, où on présentait le film, on prend un avion de l'armée. Un truc où on peut à peine s’asseoir. Il y avait des moutons, des poules, des lapins et on était tous debout dans l'avion. Un truc dément quoi, qu'on peut seulement accepter quand on a 19 ou 20 ans. Après le festival, on est revenu à Buenos Aires avec un avion un peu « nazbrok », mais au moins il n’y avait pas d’animaux… À l'époque, il y avait cette histoire de traite des Blanches, donc on nous dit de ne pas quitter l’aéroport. Sortir, c'était trop dangereux. Donc on n’a rien vu de Buenos Aires et après, le voyage de retour a encore été très long. Une fois à Paris, je suis tombée malade, gravement. Le docteur me disait : « Faut juste vous coucher ! » J'avais des douleurs atroces. « Ne jouez pas la comédie. Vous nous jouez la comédie. Couchez-vous et tout se passera bien. » J'avais mal, c'était infecté et tout. C'était toujours de ma faute. J'avais fait exprès. Et moi, je pleurais. Je voulais cet enfant. Vraiment, c'était une époque abominable. Cette histoire a créé beaucoup de problèmes entre Jean-Luc et moi…
 
Vous veniez tout juste de vous marier, non ?
Oui, j'étais déjà enceinte quand on s’est mariés. Pour la petite histoire, j'avais dessiné ma robe de mariée, qui était courte pour l'époque, assez moderne, et elle a été faite par ma mère qui avait un magasin de couture à Copenhague. Sauf qu’elle l’a vendue ! « Mais maman, ma robe de mariée que j'ai payée, que j'ai dessinée, avec les tissus que j'ai choisis, tu ne l'as pas vendue quand même ? » « Si, si, à une jeune fille qui est arrivée, c'était sa taille, je l'ai vendue ! Je vais t'en faire une autre, dans la nuit, pas de problème ! » Elle l’a faite mais ce n'était pas pareil. Ça m'a blessée. Ma mère était très bizarre. C'est pour ça que j’étais partie. 

C'est votre mère qui avait travaillé avec Carl Theodor Dreyer ? 
Tout à fait, oui, elle a fait les robes de Gertrud. Grâce à moi d’ailleurs, parce que je l’avais présentée à Dreyer. Je l’avais connu grâce à son fils, Eric Dreyer, qui était correspondant politique à Paris. À l’époque, je cherchais à gagner un peu d’argent et je lui ai demandé s’il ne pouvait pas me trouver un boulot comme dessinatrice. « Si, si tu racontes ta vie de jeune fille danoise à Paris, je peux t'obtenir quelques articles dans un journal politique» Donc j'ai gagné un peu de sous comme ça et j'ai fini par connaître le papa : Carl Theodor Dreyer. Quand il venait à Paris, on allait le chercher avec Jean-Luc, on l'emmenait à la Cinémathèque. Il voulait faire un film sur Jésus. Il n'a jamais trouvé l'argent. Il voulait que je joue la Vierge Marie.

En parlant de religion, La Religieuse de Rivette, c’est un film qui a été important pour vous et pour la manière dont les gens vous voyaient. 
Ah, la polémique autour de ce film a été atroce. On n'a pas compris pourquoi, parce qu'au théâtre (le texte a d’abord été représenté au théâtre, puis adapté au cinéma, ndlr) tout le monde pleurait, tout le monde applaudissait. Personne n'était scandalisé. En plus, c'était quand même un chef-d'œuvre de Diderot. Il est vrai que le livre a longtemps été interdit mais c'est un chef-d'œuvre. Et oui, le film a changé la façon dont on me voyait. Ce qui est drôle, c'est qu'il y a plein de gens qui me disaient : «Ce n'est pas vous qui jouez le rôle, ce n'est pas Anna Karina, c'est Suzanne Simonin. » C’est à cause du titre complet du film, Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot. Les gens voyaient ça sur l’affiche et croyaient que c’était le nom de la vedette ! Comme quoi, les gens ne lisent pas vraiment. 

Mais beaucoup de critiques se sont rendu compte de votre talent d'actrice grâce au film. 

C'est possible. J'ai adoré le faire. J'avais travaillé, travaillé… Pour apprendre le français, pour parler correctement… Tout vient de là : pour apprendre le français, j'allais au cinéma. Ça coûtait dix balles à l'époque, et on pouvait rester toute la journée, jusqu'à minuit. Alors je voyais le même film cinq ou six fois de suite, quand j'avais le temps. Je voyais les films avec Gabin, avec Gérard Philippe… Et j'ai fini par comprendre que, quand Gérard Philippe disait « bonsoir madame », ça voulait dire à peu près la même chose que quand Gabin disait « salut la vieille ». Et j'apprenais l'argot en même temps que le français classique. Plus tard, j'ai pris des leçons et Jean-Luc m'a beaucoup fait travailler aussi. 

Il vous accompagnait aux leçons ? 
Au départ, il venait avec moi. La dame qui me donnait des leçons avait aussi tous les politiques à l'époque. Pour leur apprendre à articuler, à faire un bon discours, pour l'impact. Un jour Jean-Luc m'accompagne et comme il parlait un peu comme ça (elle zozote légèrement), elle lui a dit : « Monsieur, vous avez la langue molle mais je peux le corriger, il faut mettre un crayon dans la bouche, il faut articuler. » Ça l'a tellement vexé qu'il n'est plus jamais venu ! Oh, il ne va pas aimer que je raconte ça ! Mais pourquoi ? C'est la vérité, merde !

Vous avez vu Le Redoutable ?
Non. 

Vous ne voulez pas le voir ?
Pas pour l'instant. Je n'aime pas qu'on ridiculise comme ça quelqu'un qui a déjà fait tellement de choses formidables. Je n'aime pas ça. Ça schlingue. I don't like it. I just don't like it. 

Vous avez beaucoup voyagé pour votre tournée avec Philippe Katerine. 
Ah oui ça c'était chouette. Ça a duré longtemps, sept ou huit ans en tout. Au Japon, on allait entrer sur scène quand Philippe Katerine regarde par le trou du rideau et me dit : « Anna ! Il y a des petites filles qui sont habillées comme toi dans Pierrot le fou. » Et c’était vrai ! (rires) Il y avait tellement de monde qu’on a fait deux concerts à Tokyo. Mais c'est très bizarre le Japon. Le premier soir, silence de mort pendant tout le concert. Pas un son. Pas un. Je me dis qu'ils n'aiment pas. Ils détestent, ce n’est pas possible, on va se faire huer ! On finit le spectacle et là, c'est l'explosion. Comme une bombe. Ça se précipite sur la scène et ça hurle. Alors que pendant tout le spectacle, silence radio. Rien. 

Et comment vous vous êtes retrouvée avec Philippe Katerine ? 
J'étais en tournée pour une pièce de théâtre de Bergman. À l'époque, Katerine n'était pas connu. On était à Chalon-sur-Saône et le directeur du théâtre a proposé de nous présenter. Problème : Katerine croit que c'est une blague. Il a fallu un bon moment pour qu’il comprenne que c'était vrai. Rendez-vous est donné dans le IVe à Paris. On commande des langoustes et Katerine n'en a jamais mangé de sa vie, alors il est complètement fasciné. Pendant toute la réunion, il me regarde à peine. On sort et dans la rue, on se trouve devant un stop où il y a deux « K » tagués côte-à-côte. Comme « Katerine – Karina ». C'est un signe. Vingt-quatre heures plus tard, j'ai la première chanson.

Vous avez aussi écrit un roman policier, n’est-ce pas ?
Oui, Golden City, mon premier livre, je l'ai écrit en Californie, quand j'étais avec Dennis (Berry, son époux, ndlr), parce qu'il est américain. On y a vécu presque deux ans. Mais on s'ennuie là-bas, il y a quelques intellectuels de temps en temps, enfin, des gens qui ont un petit peu de jus dans le cerveau mais sinon ce n’est pas possible. J'y suis retournée dernièrement et j'ai trouvé ça d'une tristesse… Alors comme je n’avais rien à faire, je me suis dit : « Je vais écrire un roman policier. » Ça faisait 600 pages, ce n'est pas très malin pour un roman policier… Ils m'ont dit : « Anna c'est un peu long 600 pages quand même ! »