Présidente du jury de la Queer Palm, Desiree Akhavan a réalisé son premier film Appropriate Behavior l’an dernier. Elle y joue une Américaine d’origine iranienne qui vient de rompre avec sa copine. Sa vie en fait. Le film a fait un tabac à Sundance. Alors, Lena Dunham a embauché Desiree dans la quatrième saison de Girls. Rencontre avec une femme dont on n'a pas fini d'entendre parler. Par Axel Cadieux et Maroussia Dubreuil / Photo : Mathieu Zazzo
Vous avez grandi à New York, vous vivez aujourd’hui à Londres. Retournez-vous de temps en temps en Iran ?
Je ne suis pas retournée en Iran depuis 2008 parce que c’est trop dangereux. Mes parents ont quitté l’Iran avant ma naissance, mon frère est né là-bas. Ma famille me dit de ne pas y aller. En Iran, il y a encore la peine de mort. En fait comme mon œuvre parle des gays, c’est dangereux. Moi je pourrais être enfermée car même si je ne suis pas une figure publique, mon travail est queer. Et même si je n’ai pas tourné en Iran ! Roxana Saberi, une journaliste américaine qui a grandi aux Etats-Unis, est allée vivre en Iran pendant un an et on l’a mise en prison. Ils ont dit que c'était un espion. C’est le seul endroit au monde où on ne peut rien expliquer car il n’y a pas de système pour se protéger. Et c’est pour ça que j’adore Une Séparation d’Ashgar Farhadi parce qu’on se débat dans un système qui est lui-même illégal. Et franchement le nouveau gouvernement n’a pas vraiment changé les choses.
Appropriate Behavior racontait les mésaventures de Shirin qui cherchait à devenir une bisexuelle bien sous tout rapport. De quoi parle votre nouveau film ?
C’est une comédie sexuelle. C’est l’histoire d’une Américaine qui a un rencart à Londres. Toute sa vie, elle a été lesbienne et à trente ans, elle décide de sortir avec un homme pour la première fois. C’est un choc culturel.
Pourquoi cette obsession pour le sexe, que vous partagez avec Lena Dunham ?
J’adore faire des blagues, faire rire en m'attaquant frontalement à des situations taboues. Par exemple, j’ai noté que certaines lesbiennes (surtout les butch) ne sont pas à l’aise avec les transgenres car ça va vraiment contre leur conception très masculine de la femme. Pour elles, tu n’as pas à changer ton corps pour devenir un homme. Dans ma web-série Slope, on voulait en parler et du malaise chez les lesbiennes autour de ça, du fait qu'elles n’en parlent pas car ce n’est pas politiquement correct.
Vous avez étudié au Smith College, une prestigieuse école de femmes dans le Massachussetts. Ça a influencé votre vie ?
J’y ai passé quatre ans et c’était très gay ! Pendant longtemps je ne savais pas comment parler aux hommes. C’était tellement des étrangers pour moi que je leur prêtais beaucoup de pouvoir. J’étais intimidée donc je n’étais pas capable de les approcher et ça m’a pris des années avant de pouvoir leur parler. Mais je savais quand même depuis le lycée que j’étais bi.
Dans Appropriate Behavior, il y a une scène phare de coming out... En quoi c’est un moment particulier pour vous ? Tout simplement parce qu'un secret, ça tient ta vie par les couilles. J’ai gardé le mien pendant des tas d’années car j’avais honte. C’est clair, en le disant, je suis passée du noir au blanc. Et après mon travail a beaucoup changé. Ma vie aussi. En tant que fille d’immigrés, tu dois faire plaisir à tes parents, faire bien les choses pour être sûre que leurs sacrifices n’ont pas été vains. Et je savais que c’était un truc qu’ils n’auraient pas approuvé et que ça les tuerait. Donc je me sentais très mal. Je voulais changer. Mais vivre pour ses parents, avoir peur de les décevoir, c’est pas possible. Au final, grâce à mes films, mes parents ont mieux compris ma vie et mon humour. Maintenant quand je leur dis que je vois quelqu’un, ils me demandent : « fille ou un garçon ? » C’est mignon.
Et alors être jury de la Queer palm, ça signifie quoi pour vous ?
Je ne fais partie d’aucune communauté. Je ne connais pas d’organisateurs de festival gay. Mais c’est cool que ça existe. Et quand j’ai annoncé que j’étais présidente, plein de gens m’ont contactée et m’ont félicitée. En fait même si je ne fais pas partie d’une communauté, je suis très fière d’être une voix de cette communauté. Mais ça ne résume pas ma vie. Etre gay conduit mon travail. Et puis c’est une Queer palm pas une gay palm. Queer, c’est hors normes : gays, drag queens, etc.
« Lena Dunham cherche vraiment à placer le plus de femmes possible à la tête de projets. »
Vous regardez beaucoup la télé ?
Enormément. J’aime beaucoup de choses, parfois de vraies bonnes choses et parfois de la merde. Mais mon propre travail est très inspiré par Louis C.K, notamment sa série. J’adore ça, c’est dément. J’aime beaucoup Broad City,Arrested Development, 30 Rock, Parks and Rec, et bien sûr Girls.
Comment avez-vous rencontré Lena Dunham ?
Pour Girls, Lena Dunham est venue me chercher car elle adorait un de mes films. On s’est rencontrées, quelques mois plus tard et elle m’a proposé un rôle. Par mail ! Puis on a discuté du rôle, tout ça. On a appris à se connaître.
Vous vous sentez faire partie de la petite tribu des cinéastes « indé » new-yorkais ?
C’est une toute petite communauté, donc tout le monde se connaît, galère, à New York. Ce qu’il y a d’intéressant avec Dunham c’est qu’elle est à la fois dans ce milieu et à Hollywood. Alors qu’elle est encore très jeune ! Elle connaît tout le monde. Et elle est de très bon conseil dans le travail. Dans ce milieu, c’est souvent chacun pour sa gueule, tout le monde tient à sa place, sa renommée, alors qu’elle, elle cherche vraiment à placer le plus de femmes possible à la tête de projets. Elle est très maligne.
Quelle est la différence entre réaliser un film et une série ?
Une série coûte beaucoup moins cher ! C’est plus long mais ça ne coûte rien, et c’est facile. On a fait seize épisodes avec des petites équipes, en mode système D. Ça ressemble à rien mais c’était très drôle ! Un film, c’est beaucoup plus lourd. Et pour un film, je pense automatiquement à Bergman, les grands cinéastes, ça me bloque un peu. Pour une web série, c’est beaucoup moins contraignant, on invente un nouveau genre. Et c’est aussi le cas des films queer : il n’y a pas de pression, on fait ce qu’on veut. Il y a moyen de baiser les normes et les conventions. Du point de vue de la structure narrative, du casting… C’est le meilleur moyen de s’exprimer pour moi.
Et qu’avez-vous envie d’exprimer, précisément ?
C'est quasiment une maladie : dès qu’il m’arrive quelque chose j’ai envie de le raconter à tout le monde dans un script. Je fais des films pour digérer ce qui m’arrive. J’ai toujours voulu mener une vie tranquille mais il m’arrive tout le temps des trucs un peu fous : l’autre jour, je sortais avec ce type, et il commence à pleurer, il me demande si je crois en Dieu, il me dit qu’on a fait quelque chose de très mal. En fait, le type s’en voulait d’avoir couché avant le mariage, il se sentait totalement coupable ! Je n’y croyais pas. Je sors avec un type qui est un « born again christian ». Et je ne le cherche pas, ça m’arrive sans que je le demande !
Puisez-vous votre inspiration auprès de vos proches ?
Oui je pose beaucoup de questions à tout le monde, à mes amis, j’essaye de déceler les failles chez les gens, c’est ce qui les rend intéressants. Ma mère dit toujours « vis ta vie comme un canard : calme à la surface mais en train de pédaler comme un fou sous l’eau ». Je suis pas d’accord avec ça : moi, je veux voir les gens pédaler.
Pour vous, quelle est la différence entre Londres et New York ?
New-York, c’est un plateau de tournage, sérieusement. J’aime beaucoup mais c’est un peu comme au lycée : tu croises tout le temps plein de gens que tu connais et des lieux où tu as vécu plein de choses. On est entouré de ça et ça peut être un peu fatigant. A Londres, c’est un vrai bol d’air. Et certains stéréotypes sont vrais : les Londoniens sont tous très polis, très réservés, très formels. A New-York, tout le monde pense être le centre du monde. A Londres c’est tout l’inverse, les gens s’excusent presque d’être là.
« Maintenant le moindre trou du cul que je rencontre veut faire un film, c’est devenu banal. »
Au tout début de votre carrière, vous écriviez surtout des pièces de théâtre. Pourquoi pas des scénarios ?
Je ne pensais jamais faire un film tout simplement ! C’est à vingt ans que ça a commencé à me trotter dans la tête mais quand j’étais jeune, c’était très exotique et pas donné à tout le monde. Maintenant le moindre trou du cul que je rencontre veut faire un film, c’est devenu banal. C’est l’ère des smartphones, ça a tout changé ! Alors que pour une pièce de théâtre, bah il faut juste une scène et des acteurs. La première que j’ai écrite, c’est à propos d’un truc qui m’est arrivé : j’avais été élue fille la plus laide du lycée, et j’ai écrit sur ça, ça se terminait avec mon enterrement et tous mes camarades qui pleuraient.
Y’a-t-il des films que vous attendez avec impatience pour la Queer Palm ?
Tout le monde attendait Carol de Todd Haynes. C’est très excitant. C’est le premier film lesbien avec un tel niveau de prestige et de talent. Brokeback Mountain a déjà changé les choses et là ça peut être l’équivalent. Un vrai phénomène.
C’est déjà la Queer Palm !
Oui ! Je plaisante évidemment. Mais qu’on le veuille ou non ce film est déjà un symbole.