DIAMOND ISLAND de Davy Chou

– Critique : DIAMOND ISLAND –

Visualisez une île peuplée d'immeubles futuristes. Une cité réservée aux élites cambodgiennes dont les fondations sont habitées par des ouvriers grouillant entre les poutres. Bora quitte son bourg natal pour aller vivre dans ces colonies bétonnées, prêt à bâtir l'avenir. Diamond Island raconte sa métamorphose. 


Aussi sec que le bambou qu'il grignotait en quittant le pays, Bora flotte dans ses bottes de chantier. Tout autour de lui, c'est un monde qui se relève. Dans un pays où une génération a été contrainte aux sacrifices après les crimes du régime khmer rouge, la légèreté ressurgit peu à peu dans les creux d'un bassin urbain bercé par la technologie. Le progrès bombarde la jeunesse, pour qui posséder un iPhone 6 est un moyen tout à fait décent d’emballer une nana. Bora va naviguer entre les deux bords d’un monde scindé par l'argent : d'un côté la jeunesse ouvrière, castors affairés et affamés trimant dans les parpaings de Diamond Island. De l'autre les jeunes 2.0, adaptés à leur époque et évoluant vers le futur qui s'annonce en marche. Le pont reliant ces individus ? La naissance d'un désir moderne, celui de saisir ce que la vie a si longtemps confisqué.
C'est le grand-frère de Bora, Solei qui, en débarquant sur sa moto avec le panache d'un Mickey Rourke dans Rusty James, l'amène à aspirer à un métier plus éloigné des corniches citadines. La notion d'attraction circule dans tout le film, c’est même ce qui l’irrigue et lui donne vie. En voulant l'ailleurs, l'argent, les femmes, et même la réconciliation familiale, Bora devient un aimant portant le poids de tout ce qui brille. Cette envie est justement déclenchée par Solei. Lui qui a abandonné sa famille et sur lequel Bora tombe par hasard entre les nuées d'ampoules d'une fête foraine, sera le moteur qui conduira le jeune garçon à changer de vie peu à peu. 
Dans une ambiance cotonneuse triturant les néons comme des corps organiques, transformant un frisbee lancé dans la nuit en allogène, le film construit une esthétique qui rappelle à la fois les Spring Breakers de Harmony Korine, mais aussi le Hou Hsiao-hsien de Millennium Mambo. Poussant parfois les lumières nocturnes jusqu'à la saturation, Diamond Island se permet même de « s’envoler » lors de quelques belles scènes purement visuelles : un début de chute de neige avec des flocons de phosphore ou un bref flottement aux côtés d'une méduse holographique sont autant de petites cellules filmiques séduisantes. L'image, comme ses personnages, drague. Cette atmosphère plastique fluo rococo extrêmement léchée participe au rythme du film, qui laisse s'installer les scènes comme on se blottit dans un plaid les longs soirs d'hiver. Dans un basculement constant entre le jour et la nuit, où les matières sont vives et nettement colorées, avant de retomber dans un brouillard où les cigarettes allumées brillent comme des lucioles, Bora découvre les charmes illusoires d'une vie jusqu'alors inaccessible.
 
Salut t'es cool
Dans cette hypnose visuelle, Bora semble lui aussi malléable, d'autant plus qu'il est manipulé par un grand frère aux intentions de plus en plus douteuses, toujours à distance et parvenant pourtant à s’immiscer au plus près de son frangin pour le transformer. C’est le début et la fin d’une complicité fraternelle qui aurait pu exister entre eux, comme dans cet échange de douces paroles où les frères rêvent d’Amérique, accoudés au zinc d'un club devenu silencieux le temps de leur conversation.
 
Séduit par le fantôme fraternel, voilà Bora qui délaisse peu à peu ses amis et ses premières amours pour se fondre dans un moule le laissant tout penaud. « Tu es devenu cool », ce simple constat adressé à Bora par un de ses anciens collègues de travail est révélateur : on juge moins l'être que le désir de paraître. Décalé dans un espace humain où il n'a ni cœur ni passion, le jeune garçon sirote avec style des smoothies avocat mais rumine surtout la culpabilité d'avoir abandonné les siens. C'est le film lui-même qu'il abandonnera, nous laissant avec des individus restés fidèles à leurs vies modestes, partageant un bonheur simple mais sincère. Où finira donc toute cette jeunesse abusée ? Comme pour l'île dans laquelle elle grandit, seul l'avenir nous le dira. – Willy Orr   


Diamond Island, un film de Davy Chou, avec Sobon Nuon, Cheanick Nov, Madeza Chhem. En salles le 28 décembre