DEUX FILS de Félix Moati

– En salles : DEUX FILS –

On avait un peu rapidement rangé l'acteur Félix Moati dans la case des jeunes chiens fous rigolos mais, dans Simon & Théodore, il se révélait en écorché vif miné par la dépression. Une appétence pour la noirceur qu'il explore avec une belle maîtrise dans son premier film comme réalisateur.

 
Après la mort de son frère, Joseph (Benoît Poelvoorde) encaisse sa disparition. Ses fils, Ivan (Mathieu Capella) le préado et Joachim (Vincent Lacoste) le jeune homme, doivent faire face aux turpitudes de leur âge. Tandis que le petit tombe amoureux pour la première fois, le grand sort laborieusement d'une histoire longue… Le père et l'aîné sont aussi perdus que fantomatiques. L'un abandonne son métier de médecin pour tenter d'écrire, l'autre délaisse la rédaction de sa thèse alors qu'il est un étudiant brillant. L'échec plane partout, l'amour est en fuite et la communication familiale au point mort. Esseulé, Ivan va quant à lui vivre, loin de la faillite de ses modèles masculins, une révolte dépassant la simple crise d'adolescence.

 
Les âmes mortes

Comme on pouvait s'y attendre, le premier film de Félix Moati fait la part belle aux acteurs, à leur aise dans une mise en scène sobre, presque brute. Derrière Joseph, il y a Poelvoorde et ses profondes angoisses de grand comique. On les voit, ça se sent. De même pour Joachim/Lacoste. Comme si les clowns étaient filmés côté coulisses, quand ils arrêtent de faire comme si tout allait bien et que rien n'était grave. Deux fils fait vivre à ses personnages l'expérience du vide dans un quotidien d'une désarmante banalité. Par le deuil pour Joseph, par la rupture pour Joachim, par l'effritement de ses modèles pour Ivan. Leur capacité à faire face à la crise rend ces personnages sincères, sans complaisance. Le spleen du père est passé dans l'ADN de ses fils pour mieux les éloigner les uns des autres. La trajectoire du film est celle d'une réanimation collective, chaque scène comique venant électriser les personnages, les remuer pour tenter de leur redonner la solidité qui leur fait défaut. L'enfant se prend pour un ado énervé, le jeune homme pour un vieux con et le daron pour un enfant capricieux. On observe ces trois grands immatures se retrouver peu à peu, comme on se cherche dans le noir, à tâtons. La prédominance de la nuit dans l'ambiance du film n'est pas anodine. Il y a la nuit noire où l'on va boire des verres pour s'oublier dans les boîtes à la mode. Il y a la nuit blanche où l'on rumine sans fin ses échecs en fumant des clopes. Mais il y a aussi une autre nuit, plus romantique et emballante, où l'on s'enfonce en balayant les interdits pour suivre un idéal amoureux. La vie d'ado fantasque du gamin est irriguée par l'âme russe de la famille. Mais l'ancrage du récit dans cette mythologie dépasse les bons mots du petit frère regrettant l'époque où Joachim était « fort comme Poutine » ou la fierté ridicule du père quand on lui dit que sa prose rappelle Tolstoï. C'est en voyant Ivan maudire la faiblesse, la lâcheté et la médiocrité de ses aînés, que l'on est au plus proche de la véritable âme russe. Les fantômes de Gogol et Dostoïevski planent sur eux et risquent à tout moment de faire basculer le drame familial grisâtre vers la franche tragédie noire. Mais Félix Moati sait rattraper ses personnages par la manche et leur éviter la noyade en nous rappelant qu'il suffit souvent d'un baiser pour les chasser. – Willy Orr