YIDDISH de Nurith Aviv

– En salles : YIDDISH –

À peine une heure suffit pour filmer de façon méthodique et lumineuse une série de rencontres où des jeunes de différents pays racontent leur rapport au yiddish. C’est le dernier petit miracle de la cinéaste Nurith Aviv.

 
Proche de l’allemand, mais avec quelques emprunts de l’hébreu, de l’araméen et des langues slaves, le yiddish fut la langue séculaire des juifs ashkénazes de la diaspora européenne d’abord, américaine ensuite. Avant la Seconde Guerre mondiale, c’était la langue de douze millions de personnes, et 85 % des morts dans les camps d’extermination nazis la parlaient. Israël, où l’hébreu moderne est la langue officielle, a mené une politique hostile envers le yiddish, considéré comme un mauvais souvenir de la Shoah, un symbole de la passivité juive qu’il fallait éradiquer du nouvel État. L’assimilation des migrants juifs depuis la fin du XIXe siècle a fait aussi que beaucoup de leurs descendants cessent de la pratiquer. Aujourd’hui, elle est essentiellement maîtrisée par des personnes âgées ou certaines communautés hassidiques. Pourtant, on vit une sorte de renaissance du yiddish, et c’est de cette renaissance-là que parle le film de Nurith Aviv.
 
Concrètement, le sujet du film est l’intérêt que la langue éveille chez des jeunes linguistes, traducteurs et historiens de différentes parties du monde. À tel point que Yiddish est organisé comme une sorte de colloque introductif par épisodes, où sept jeunes hommes et femmes de différentes nationalités, étudiants et académiciens, certains juifs, d’autres pas, rendent compte – chacun à son tour, dans sa propre langue et à son domicile – de leur découverte de la langue, et de l’importance du yiddish au XXe siècle, au cours duquel la poésie, le théâtre et le cinéma juifs ont été très populaires. Car, si après le prix Nobel obtenu par Isaac Bashevis Singer qui écrit en yiddish, la langue est encore stigmatisée comme un dialecte du ghetto (même Kafka trouvait que c’était une langue inutile pour faire de la littérature), c’est oublier que les avant-gardes politiques et esthétiques de l’entre-deux-guerres avaient trouvé aussi dans cette langue une importante source d’expression.
 

Mais il y a une chose dans le film qui dépasse la simple curiosité ethnographique, c’est la vitalité transmise par les personnes interrogées. C’est comme si les habitants de Pompéi, après des siècles sous la lave du Vésuve, se réveillaient et se montraient comme des êtres humains encore plus vivants et complexes que ceux qui les ont découverts. La mise en scène d’Aviv n’y est pas pour rien. Certes, le yiddish, notamment dans les poèmes que chaque personnage lit à la fin de l’entretien, nous étonne et nous touche aujourd’hui parce que c’est la clé d’un monde absent, ce Monde d’hier dont parlait Stefan Zweig déjà en 1934. Mais Aviv offre un cadre qui rend possible cette révélation grâce à un dispositif extrêmement simple : avant l’entretien, on accompagne chaque personnage sur son chemin pour rentrer à la maison, dans les rues de sa ville (Berlin, Paris, Vilnius, Tel Aviv…), et la rencontre se finit par la lecture d’un poème de son écrivain yiddish de chevet. Ces moments de présentation des personnages, la façon dont elle filme les fenêtres de leurs appartements, et surtout la lecture des poèmes et même la typographie de la traduction française procurent un plaisir plastique, dans leur quête très simple de la beauté. La luminosité est systématique, puisque chaque rencontre se produit dans un beau jour, comme si le soleil était une arme contre les ombres du passé, le véhicule le plus à même de révéler l’impact du yiddish sur une génération qui semblait destinée à l’ignorer. Cet éblouissement, évident aussi dans l’enthousiasme des personnages, permet de comprendre qu’une langue menacée d’extermination n’est que la pointe de l’iceberg d’un trésor culturel aux dimensions insoupçonnées. Quintin (traduit de l’espagnol -Argentine- par F.G.)