JOEYSTARR : « Je suis un soldat »

– Interview : JOEYSTARR –

Il y a vingt ans, Didier Morville, alias JoeyStarr, rappait « Mais qu’est ce qu’on attend pour foutre le feu ». Aujourd’hui, il a son rond de serviette dans le cinéma français, a mis de son côté Mathilde Seigner et parfois même, se siffle du rhum à l’Élysée, peinard. Raison ? La tchatche et la (grande) gueule de l’homme que l’on nomme JoeyStarr, sans doute. Par Mathias Edwards / Photos : Renaud Bouchez

Comment tu as fait pour passer d’artiste le plus subversif de France, à artiste bankable ? Je ne sais pas si je suis bankable, mais mon statut social a changé, c’est clair. Avec le cinéma, tu deviens un genre d’abat-jour dans le salon des gens. En faisant des films comme Max, Polisse ou la série Mafiosa, d’un seul coup, il y a des gens dans la rue qui se permettent de te héler : « Finalement t’as un cerveau. »T’as envie de leur répondre : « Je ne m’appelle pas seulement Nique Ta Mère. Vas voir derrière le mur, il y a un pommier, je te jure. » Les gens sont fous. J’ai pu voir ça avec Dubosc et Gad Elmaleh. Quand t’es comique, les gens affichent un tel niveau de proximité avec toi que ça en devient vite super gênant. Quand on tournait Les Seigneurs, j’étais avec José Garcia, qui me demandait : « Tu sors mon Didier, ce soir ? » Parce qu’il avait besoin d’un garde du corps pour empêcher les gens de trop l’approcher.

Certains de tes fans, disons, hardcore, ont du mal à faire le lien entre le JoeyStarr de NTM et le mec qui tourne dans des comédies avec Franck Dubosc ou Mathilde Seigner. Qu’est ce que tu leur réponds ? Que tu as muri ? Heureusement que j’ai muri. Sinon, je serais devenu hémiplégique… Sache une chose : tu ne te positionnes pas comme quelqu’un qui va faire une carrière, quand ton groupe s’appelle Nique Ta Mère, que ton projet c’est d’engourdir du crétin avec ta gueule enfarinée et qu’on est dans les 80’s. Oh ! Tu comprends ce que je veux dire ? On est les seuls à avoir fait ça. Dîtes ce que vous voulez, je m’en bats les reins ! Alors effectivement, je ne suis plus dans ses dispositions-là, parce qu’à un moment, tu te dis :« Être manœuvre, ou faire de la musique… Wow ! » Déjà, j’avais un choix. Combien d’entre-nous ont un choix, aujourd’hui ? Hormis celui d’avoir deux boules et de dormir dans leur voiture ? J’ai arrêté l’école après la troisième, je me suis construit avec toute cette histoire. Je ne renie rien, je dis juste que je ne savais pas où j’allais. Mettez-vous à notre place, les gars. Avec NTM, quand on a touché notre premier chèque de Sony (leur maison de disques, ndlr), je n’avais même pas de toit. Je dormais dehors, par choix. J’étais dans ma posture punk-punk. Je traînais dans les catacombes, sur les toits, j’avais les clés du métro, des portes cochères… On était encore dans le graffiti, on se bagarrait, on s’amusait bien. Sans aucun questionnement. Après le premier album de NTM, je me suis trouvé une fiancée, enfin, une fille qui voulait bien de moi. Une jolie fille. Donc pour l’appâter, forcément, j’ai pris un appartement. Et après, j’ai commencé à comprendre plein de trucs. « Ah ouais, mais j’étais mieux avant, finalement, quand j’étais bourré dans les coins et que je gobais des acides sans me poser de questions, que je me réveillais dans les catacombes en me demandant où j’étais. »

“Mes références, ce sont des comédies françaises, comme Ne nous fâchons pas, Un singe en hiver… Des trucs où y a du bagout, où il y a des hommes.”  

C’est quoi, tes premiers souvenirs de cinéma ? Il est tout pourri, mon premier souvenir de cinéma, c’est mon père qui m’a emmené au cinéma voir Zorro, avec Alain Delon. Ah non, avant ça, j’étais allé voir Les Dix commandements, avec l’entracte, Charlton Heston, et tout. On l’entend moins ta grande gueule, hein ? Donc là, je me faisais traîner au cinéma. Mais plus tard, tout seul, en entrant par la porte de secours, j’ai commencé par Evil Dead, puis Alien, Conan le Barbare, des trucs comme ça. Evil Dead, j’avais 14 ans, et je te promets que je n’en ai pas dormi pendant une semaine. À la maison, il y a eu toute cette période pendant laquelle mon père regardait des films le soir. Moi j’étais censé dormir, mais je regardais quand même par l’entrebâillement de la porte. À l’époque, il y avait encore le carré blanc. Donc mes références, ce sont des réminiscences de ce que regardait mon père. Des comédies françaises, comme Ne nous fâchons pas, Un singe en hiver… Des trucs où y a du bagout, où il y a des hommes.

Tu es de la génération au-dessus de celle qui voue un culte à Scarface, Le Parrain, et les films de gangsters américains en général ? Ouais, je suis moins là-dedans. Scarface, j’ai découvert sur le tard.J’ai envie de te dire que si c’est ta référence, va te peser. Moi, mes références de cinéma elles se trouvent en France : Lino Ventura, Jean Gabin, Bebel bonne époque ou Blier. C’est du lourd, tu peux rien faire. Ils ont une aura. Même quand ils jouent un truc un peu cucul la praline, ça marche. Rochefort, Noiret, tu peux rien faire contre eux.

Que des gueules, comme toi. Cela fait quoi, d’être considéré comme une des « gueules » du cinéma français ? La gueule, ça fait partie de l’aura, c’est un tout. Il n’y a pas que moi en ce moment, il y a aussi Reda Kateb. Mais par exemple, quand j’ai fait le film d’Emmanuel Mouret (Une Autre vie), il est venu me chercher pour autre chose, justement pour être à contre-courant de tout ça. Après, ma gueule, je vis avec. Je suis protagoniste, je ne suis pas spectateur de tout ça.

À ton avis, tu représentes quoi, dans le cinéma français ?
Ah non, désolé, je ne suis pas là-dedans, moi. Dans le cinéma, je me mets juste à la disposition d’un boss, je suis un très bon soldat. Mon expression sur un film elle est juste au service d’un capitaine, d’une histoire, de protagonistes avec qui on va faire monter la sauce. Le truc militant dans le cinéma, la posture, ça n’appartient qu’au réalisateur. Je ne suis pas Marlon Brando ou Gégé (Depardieu), encore. Je ne suis pas du tout là-dedans, je suis un soldat. C’est Gabin qui disait : « L’art, c’est comme l’armée, il ne faut surtout pas poser de questions. »

Tu as vu le film de Catherine Breillat avec Kool Shen ? Non, et je pense qu’on est plein dans le même cas.

En 2011, tu déclarais que tu ne te considérais pas comme un acteur, parce que tu ne travaillais qu’à l’instinct, sans technique. C’est toujours le cas ? Je n’ai toujours pas de technique, mais par la force des choses, je suis devenu acteur. On m’a dit il y a pas longtemps que j’avais tourné dans dix-huit films, donc à un moment donné, il faut arrêter de dire qu’on est là par hasard. Pour moi, ça y est, je suis acteur. Peut-être que pour d’autres c’est pas évident, mais à chacun sa perception des choses.

“Je tournais avec Julie Gayet, et elle me dit : ‘On se fait un dîner avec mon fiancé, est-ce que tu veux venir ?’ Sur le moment, comme une tête d’ardoise, je lui demande qui est son fiancé.”

Est-ce que t’as l’impression d’être devenu le mec avec qui ça fait cool d’être pote, dans le cinéma français ? Ça veut dire que j’ai des amis dans le cinéma, donc oui, c’est cool. Ils devraient porter un pin’s « Je suis pote avec Joey », ou « Je supporte Tête de Chien ». Plus sérieusement, je ne savais pas que cela faisait cool d’être pote avec moi.

Ça fait plaisir de jouer des rôles de mecs de 35 ans, quand on en a 47 ? Sachez une chose, monsieur : dès que dès que je rase les quelques poils que j’ai sur le visage, les gonzesses pensent que j’ai dix ou quinze ans de moins. Et si je me rase la boule, tu peux en enlever dix de plus, je ressemble quasiment à un pré-pubère. La négritude est un luxe, tellement ça a coûté cher, comme disait Aimé Césaire.

Tu t’entretiens, tu fais du sport ? Non, je bois du formol. Je ne fais quasiment pas de sport. Sérieusement, je n’entretiens pas le bestiau. Il faudrait que je perde un peu du cimetière à poulets, d’ailleurs. Quand on a tourné Colt 45, j’ai fait l’erreur de recevoir l’autre idiot (Fabrice du Welz, le réalisateur, ndlr) chez moi en plein été, en short, torse-poil avec ma brioche. Bon, tant que tu la vois tout va bien, comme on dit chez moi. Et le mec me dit : « Bon, faudrait que tu perdes un peu de bide. » J’ai revu le film il y a pas longtemps, c’est vrai que je ne ressemble à rien. On dirait une boule de saindoux, un corps en mousse.

Lors de la cérémonie des césars, en 2013, Mathilde Seigner t’appelle sur scène et se lance dans un discours expliquant que c’est toi qui aurais dû gagner le césar du meilleur second rôle et pas Michel Blanc. On a entendu dire que tu lui avais versé du rhum dans son champagne… Comment tu sais ça ? Effectivement, j’avais mis du rhum dans sa coupe. Je l’ai regardée droit dans les yeux et je lui ai dit : « Tiens, goûte, je vais te sucrer ton Champagne. » Elle m’a répondu : « Ok, parce que c’est chiant, là ! » Parce que ouais, les césars, c’est chiant. Mathilde, c’est quelqu’un d’assez sobre, droite, rigoureuse. Ce qu’elle a fait aux césars c’était un élan du cœur. On venait de passer deux mois ensemble (sur le tournage de Max, ndlr) et je lui ai fait changer d’avis sur l’hygiène des rappeurs. Que demande le peuple ?

Si tu es passé de subversif à populaire, c’est aussi parce que tu fais des choses que tu ne faisais pas avant. Comme dîner à l’Élysée, par exemple… Avec NTM, on a été approchés par Jack Lang ou des gens comme ça, et on leur a toujours demandé de nous foutre la paix. On leur aurait servi à rien, et ce n’était pas le projet. Le dîner à l’Élysée, j’y suis allé avec Dominique Besnehard, et des gens avec qui je bossais. Ça s’est fait comme ça. Je tournais avec Julie Gayet, et elle me dit : « On se fait un dîner avec mon fiancé, est-ce que tu veux venir ? » Sur le moment, comme une tête d’ardoise, je lui demande qui est son fiancé. Elle ne me répond pas, et me redemande si je viens. J’accepte, et voilà. Je paye des impôts, je veux voir ce qui se passe. C’est de la curiosité. Aux dernières présidentielles, j’ai voté Gandhi, alors tu vois… Contrairement à Gérard (Depardieu), je n’y suis pas allé pour qu’il m’arrange avec les impôts. J’adore Gérard, mais il te dira lui-même : « Il m’arrange sur les impôts, je veux bien aller faire le clown dans ses meetings. »

Mais à un moment, t’as pensé à l’époque où tu chantais « allons à l’Élysée, brûler les vieux », avec NTM ? Sans problème, négro. Mais sur le moment, je me suis dit : « I’m a punk-funk, nigga ! » En sortant de là, j’étais quand même bien fracassé. Ils ont du bon rhum à l’Élysée. Ils ont posé la bouteille sur la table, du rhum haïtien en plus, et j’ai fait participer tout le monde.

Tu es toujours pote avec Olivier Besancenot ? Ouais. Mais je ne suis pas pote avec lui pour des raisons de politique, hein ! Je suis pote avec lui parce que c’est une vraie personne. On a un passé associatif commun, sur des trucs comme le devoir de mémoire, entre autres. On allait tracter, faire les boîtes aux lettres. T’imagines, tu vas dans une cité de Saint Denis, il y a Besancenot et moi… C’est Henri Salvador et Bourvil. Ce que j’admire chez lui, c’est qu’il a un quotidien qui devrait être celui de tous les politiques. Il va aux fourneaux. Alors qu’il y en a certains qui ne connaissent pas le prix de la baguette ou du café. Olivier, il bosse au guichet de la Poste et il va jouer au foot avec les mecs de Barbès le dimanche. Un jour, je lui ai demandé : « Imagine, si t’es élu. La Safrane de poulet à Barbès, tous les privilèges, le protocole, comment tu vas faire ? »

Selon un sondage de 2013, tu es la personnalité que les Français souhaiteraient le moins avoir comme voisin. Qu’est-ce que cela t’inspire ? C’est comme quand je me suis retrouvé coincé entre Dieudonné et Le Pen, dans un classement des personnalités les plus détestées. Dans ces moments-là, j’appelle ma mère et elle me dit : « Oui, mais quand même… »« Mais non, maman ! C’est ça, le projet ! » Le capital sympathie, je m’en fous. Après, je ne te cache pas que de temps en temps, je suis obligé de faire des ronds de jambe pour obtenir des rôles importants.