À 48 ans, le catcheur mexicain Cassandro est considéré comme le « Liberace de la lucha libre ». Celui qui s’est battu pour que les exoticos – ces catcheurs qui combattent en drag queens – ne soient plus considérés comme des bêtes de foire et puissent s’assumer au sein d’un milieu hyper-viril. Après trente ans d'une carrière entamée sur les rings de Ciudad Juarez, il est désormais le héros d’un documentaire de Marie Losier, Cassandro the Exotico, qui sort en salles après une sélection en fanfare à l’ACID à Cannes cette année. Une consécration. Et une étape avant d’écrire sa grande histoire dans un livre. Son idée de titre : Vie et Mort de Cassandro. Par Arthur Cerf
« J’ai mis trois heures à me préparer. » Cassandro ne plaisante pas. En cette fin d’après-midi cannoise, le catcheur mexicain a vidé une bombe de laque sur sa crinière dorée, a fatigué quelques pinceaux dans du fard à paupière, s’est maquillé, encore un peu plus, s’est rasé les jambes, a mis un collant, chaussé une paire de bottes blanches avec des papillons multicolores, enfilé un manteau-cape rouge écarlate, vérifié sa coupe, le maquillage et tout. Il était enfin prêt à grimper les marches du Palais des festivals. « Et là, quelqu’un a marché sur ma cape. » En temps normal, la diva aurait étripé le mauvais marcheur, mais pas ce jour-là. « Mon cœur faisait boum boum boum, dit Cassandro en tapotant sur sa poitrine comme pour faire rejaillir les images de ce moment de gloire. Au moment de monter, ils avaient mis “I’m Coming Out” de Diana Ross, je pensais qu’ils mettraient “I Will Survive.” » Soit la chanson avec laquelle Cassandro est monté sur les rings pendant une grande partie de ses trois décennies passées sur les rings. Pourquoi celle-ci ? « Parce que me dis toujours que je devrais être mort aujourd’hui. »
Le voilà maintenant qui promène son petit mètre soixante-dix coincé dans une veste mauve, et qui enfonce ses chaussures dans le sable en même temps qu’il fredonne « It’s Raining Men », pas loin d’un cocktail mexicain mondain auquel il est invité. L’air de ne pas bien comprendre comment il a atterri ici. Débarqué sur la Croisette en héros fellinien du documentaire à son nom, Cassandro the Exotico, réalisé par Marie Losier et présenté à l’ACID. « Une bénédiction, lâche-t-il ému, en dévoilant un large sourire. Inimaginable. » Le bout du monde pour lui qui a grandi dans l’agitée Ciudad Juarez. « La semaine, on allait à l’école à El Paso et le week-end, on retournait vivre à Juarez, c’était compliqué parce qu’il y avait la drogue et la prostitution, mais, pour nous, El Paso c’était l’école, les règles et Juarez, la liberté. » Sans doute parce que c’est du côté mexicain de la frontière que Cassandro – alors Saúl Armendáriz – est allé voir ses premiers combats de lucha libre. Un spectacle familial pas cher et une religion au Mexique. « Le dimanche, on allait à l’église et ensuite à la lucha libre », précise Cassandro. Quelques années plus tard, il arrêtait l’école pour se dévouer à la lucha et s’entraîner avec Rey Misterio. Quand il devient professionnel deux ans plus tard, il se met à combattre le visage masqué, sous le nom de Mister Romano. « Mais ce n’était pas moi. » Quelques mois plus tard, il décidait donc de sortir du bois. Et de devenir un exotico, un de ces catcheurs burlesques déguisés en caricatures gaies. Quitte à se brouiller avec pas mal de monde. « J’ai grandi dans un environnement homophobe, pose-t-il. Mon père était conservateur. Il voulait un fils, et j’étais l'aîné. Quand il a compris que j’étais gay... »
Par bribes, Cassandro mentionne des
« viols ». Il a été « agressé », aussi. Et il y a bien eu quelques « overdoses ». Il dit aussi qu’il a été poignardé et qu’on lui a tiré dessus. « Un jour, je faisais un combat dans un cirque et des gens sont rentrés, ils ont commencé à tirer sur tout le monde, on s’est cachés sous la cage des tigres. Ils ont tué des gens et coupé les têtesde six personnes. » Il y a quinze ans, Cassandro décidait de changer de vie. D’arrêter l’alcool, les médicaments et les drogues. Et de repartir à zéro. C’était le 4 juin 2003, une date qu’il s’est tatouée sur le dos. Depuis, Cassandro collectionne les jetons de sobriété et a aussi adopté la médecine aztèque. « Tout est une thérapie pour moi : ce documentaire, le psy, mon ours en peluche, énumère-t-il. Mais aujourd’huiça va mieux. » Même si les crises d’angoisse finissent toujours par revenir. Par vagues. Comme cette fois où, au début du Festival de Cannes, un homme l’a enlacé par derrière et l’a embrassé sur la joue. Il fait une mine écœurée. « Ça m’a rappelé de mauvaises émotions. » Puis, après la projection du documentaire, Cassandro s’est rendu à une fête organisée sur une plage de la Croisette. Débordant de vie. Là, il a dansé, les yeux perdus dans ceux de la réalisatrice Marie Losier, jusqu’au bout de la nuit, au milieu des invités au champagne, en chantant : « Bella ciao, ciao, ciao ! »lundi 03 décembre 2018