LE JOUR D’APRES de Hong Sang-soo

– Le film de la semaine : LE JOUR D'APRES –

Le film a marqué les esprits à Cannes pour la première entrée en compétition officielle de maître Hong. A raison, tant Le Jour d'après marque la consécration légitime d'un cinéaste à vif.

Il y a des moments dans la vie, surtout dans une relation amoureuse, où l’on ressent l’envie soudaine de trancher dans la douce monotonie de la routine et où l'on se met à écrire sur tout ce qui nous arrive. Surtout quand on aime la littérature. Le résultat ? Un mot dans un journal intime ou, le plus souvent, une lettre d’amour. Quand on écrit à la personne qu’on aime, surtout en usant de ce mode de correspondance désuet qu'est le papier, tout s’intensifie : on ose dire ce qu’on tait au quotidien, on se laisse emporter par la littérature et on devient passionnés, extrêmes, tragiques. L’écrivain Alan Pauls compare ce phénomène à ces moments dans les comédies musicales où, tout d’un coup, ce que les personnages ressentent est trop fort pour être « juste » dit : il faut le chanter, le danser. Avec Le Jour d’après, Hong Sang-soo subit un accès de ce genre. Il brise sa routine cinématographique faite de variations subtiles et précises et surprend avec un film déchirant, à vif. Un peu comme si Hong avait bouffé Pialat, comme si, à sa façon, il avait ressenti le besoin de s’ouvrir de bas en haut pour faire son Blood on The Tracks. Comme une suite logique de l’élan déjà ressenti dans son premier film avec Kim Min-hee (Un jour avec, un jour sans) et qui lui avait par ailleurs couté un divorce.
La trame de ce Jour d’après démarre justement à cause d’un de ces élans littéraires : le protagoniste, un éditeur, a écrit une lettre d’amour à son assistante de maitresse et sa femme l’a trouvée, déchainant une crise de jalousie. La blessure est ouverte et personne ne pourra arrêter l’hémorragie : plus besoin d’alcool pour se lâcher, ne reste plus au protagoniste qu'à s'échapper en un jogging nocturne pour finir effondré sur un banc, inconsolable. Une troisième femme (Kim Min-hee), la nouvelle assistante de l’éditeur, débarque alors pour devenir à son insu l’objet de toute cette violence, elle qui n’avait rien demandé à personne, culminant dans un moment d’une cruauté inouïe, quand éditeur et maitresse font croire à la femme trompée que le mot d’amour s’adressait à cette nouvelle employée.
Même si Kim Min-hee n’interprète pas le rôle de « la maîtresse », impossible de ne pas penser à l’histoire personnelle du cinéaste avec l’actrice. L’autofiction au cinéma semble répondre à une règle paradoxale : pour attendre la vérité, il faut faire un détour, il faut la transformer, la déménager dans un autre univers, oser le jeu de masques. Ici, cette vérité, il faudrait quasiment l’écrire avec un grand V : lors de leur premier déjeuner ensemble, l’éditeur demande à sa nouvelle employée en quoi elle croit dans la vie. Elle développe : 1) Qu’elle n’est pas maître de son destin, 2) qu’on va tous mourir, 3) que tout ce qui nous entoure est source d’émerveillement. Le soir, plusieurs crises et quelques verres de soju plus tard, elle avoue que ce qu’elle voulait dire vraiment, c’est qu’elle croit en Dieu, sauf que, de nous jours, si on se dit croyant, on nous prend pour un simplet ou un ignorant. Rentrant chez elle en taxi, s’éloignant de son destin cruel, sa voix murmure un « Notre Père » en off. Voilà ce qui arrive quand on se sent l'âme romantique, poussés par un amour fébrile : les mots nous échappent, désespérés, et nous donnent envie de croire à des choses plus grandes que nous mêmes. – Fernando Ganzo

Le Jour d’après, un film d’Hong Sang-soo, avec Hae-hyo Kwon, Kim Min-hee. Actuellement en salles