PERDRIX de Erwan Le Duc

– LE FILM DE LA SEMAINE : PERDRIX –

Parce qu'il n'y a pas que Tarantino et Hollywood dans la vie, voici en salles cette semaine Perdrix, qui n'est pas un documentaire animalier mais bel et bien un drôle d'oiseau au plumage bariolé. Sélectionné à la Quinzaine entre Dupieux et Forgeard, il fallait du caractère et un sens de la comédie solide pour tirer son épingle du jeu. Ça tombe bien, Perdrix n'en manque pas. Explications en compagnie de son auteur, Erwan Le Duc.

 
 
Le personnage principal du film, Pierre Perdrix, est une vieille connaissance…
Oui ! Dès mon premier court, il y avait ce personnage de Perdrix. Il était flic, pas gendarme. Mais vu qu'on a tourné dans des bleds dans les Vosges, c'était plus cohérent d'être dans la gendarmerie. Le personnage est proche de ce qu'il était dans le court-métrage. Un mec avec des responsabilités, un peu droit, un peu chiant et qui passe à côté de sa vie. J'ai commencé à écrire le long dans la foulée de mes courts, alors j'ai gardé ce personnage que j'aimais bien. C'est devenu un alter-ego, on a vieillit tous les deux. Le plus gros bouleversement pour lui entre le court et le long a été la rencontre amoureuse. Ce thème était là dès le début mais le scénario de Perdrix a pris forme quand j'ai accepté de faire un film d'amour, sans obstacles et sans faire semblant. Y a un moment dans l'écriture où j'ai beaucoup changé les choses pour recentrer sur Juliette en choisissant d'avoir une intrigue policière minimale. Une fille se fait voler sa bagnole, elle va porter plainte, tombe sur ce gendarme et voilà.

Pour l'incarner, Swann Arlaud raconte qu'au début il a eu une approche très concrète en faisant un stage en gendarmerie, mais que ça ne lui a pas vraiment servi…

Il s'était préparé en partant du réel, en allant voir comment les gens sont dans la vraie vie. Il a fait ce stage à son initiative, je ne lui ai pas du tout demandé de le faire. Je trouvais ça très bien qu'il y aille. Mais sur le premier jour de tournage dans la gendarmerie, il était très gendarme quoi… avec des codes, une manière de parler, quelque chose de mimétique. Arrivant avec ce travail là et cette piste qui n'était pas la bonne, il fallait détricoter tout de suite et trouver le personnage en négatif de ce qu'il avait apporté. Je lui ait filé le dvd de La Vie de bohème, de Kaurismaki, avec Matti Pellonpää. C'était l'acteur fétiche de Kaurismaki jusqu'à sa mort au milieu des années 90. Je voulais un jeu très intérieur, que tout passe par des regards, qu'il y ait quelque chose d'assez blanc, un peu finlandais. Kaurismaki a un univers qui me plaît beaucoup. Il a toujours des dialogues très écrits, presque sur-écrits, mais qui sont dits avec simplicité. Il y a aussi un rapport au burlesque intéressant.
 
Le burlesque, c'est quelque chose de très ancré dans vos goûts et votre cinéma ?
J'ai passé une partie de mon adolescence en Angleterre et je pense que ça a influencé cet humour là. Un humour anglais un peu froid, distant. C'est des choses que j'ai découvertes en grandissant et qui m'ont traversé et influencé. Le film montre surtout un rapport au monde. Je voulais créer un univers où l'absurde, le gag, le burlesque, puissent côtoyer des questionnements plus profonds, existentiels et tragiques. Dans le film à un moment il y a un plan sur un post-it dans la chambre de Juju où il y a marqué « comment trahir l'époque ? » C'était une phrase que j'avais écrite dans mon carnet. Lorsque j'étais en train de faire la chambre avec la chef-déco, on a pensé à insérer ça. « Comment trahir l'époque », c'était une question importante. Pour moi, la réponse c'était d'essayer de faire un film qui ne rentre dans aucune case, joyeux, d'assumer un certain burlesque et une déglingue dans la manière de faire le film, tout en lui restant fidèle. Les gags ne viennent pas de nulle part, tout est au service des personnages et de l'émotion. L'écriture des dialogues rentrait dans ce cadre-là. Je voulais assumer une parole, une forme de logorrhée. Le personnage de Juliette, c'est un personnage qui se déverse par la parole. Les gens se répandent ou alors au contraire parlent peu et prennent en eux la parole des autres pour, au fur et à mesure, commencer à dire des choses.

 
Le film s'ouvre d'ailleurs sur un beau prologue radiophonique avec la voix de la mère de Pierre, interprétée par Fanny Ardant.
La voix de radio rajoute un truc. J'aimais l'idée de la petite radio locale animée par des passionnés. Tout le film est traversé par des personnages -à part Perdrix au début- très engagés dans leurs vies. Ils vivent tout avec intensité, ils ont des passions avec un rapport très concret à ça. Le personnage de Thérèse, c'est ce truc de radio, ça passe par là. C'est aussi une façon de ne pas vivre directement, la radio fait écran entre elle et la réalité. Elle ne sort quasiment pas de chez elle, elle reçoit ses amants dans son studio… l'univers est très installé, mais presque comme une prison. J'aimais cette ambivalence là. C'est aussi lié à des observations sur place. Sur les repérages j'écoutais beaucoup une radio locale, qui est celle que j'ai choisi pour Thérèse. On était en plein là-dedans, avec des émissions où des gens parlent un peu tout seul parfois en racontant leurs vies… Il y a une manière à la fois de faire du bien et puis une grande solitude. C'est devenu la voix du film, c'était assez beau de commencer comme ça et de le coller au thème amoureux.
 
Vous ne vous contentez pas de faire un film de rencontre amoureuse, mais un film sur l'amour en général.
J'avais envie d'avoir ces variations sur le même thème, l'amour coup de foudre, l'amour incapable entre un père et une fille, l'amour éternel entre une femme et son mari mort, qui devient une sorte d'amour en voie de pourrissement… C'était la partie théorique du scénario d'avoir ces trois courants qui se développent en même temps et de vouloir suivre ces histoires et que ça nourrisse le scénario. Ça créer un rythme particulier, surtout au début. Quand cette fille nue arrive pour voler une voiture, on chope le spectateur par le bras et on commence une cavale sentimentale. Il fallait que tout aille très vite, et faire confiance au spectateur pour raccrocher les wagons du récit. On a beaucoup travaillé sur ces 45 premières minutes du film. On a tout serré sans rien perdre de ce qu'on voulait raconter. Et puis ensuite le rythme se métamorphose, on fait basculer le film ailleurs d'un coup avec la scène de danse du bar.
 
Comment s'est construite cette première danse entre Perdrix et Juliette ?

Elle a pris corps par le travail des comédiens et des techniciens, au moment du tournage. On fait basculer le film ailleurs d'un coup, et sans que ce soit prévu à l'écriture ça se retrouve pile au milieu du montage. On va alors vers quelque chose de plus lyrique, plus onirique. J'ai eu envie qu'on essaie une certaine poésie, de faire un peu de cinéma en l'assumant. On avait deux jours dans ce bar et la veille, je leur ait dit « on va faire une chorée ». On a choisi de tourner avec la foule et sans, pour alterner les deux au montage. C'était très amateur, très simple, Maude a préparé un petit truc qu'on a répété une heure à l'avance avec elle et Swann. Ils sont arrivés et toute l'équipe s'est installée. C'était un peu fragile, on a tous décidé de prendre un risque sans râler, sans douter, sans se dire « de toute façon ce qu'on tourne finira pas dans le film ». Ça, c'est très précieux. Quand tu mets en scène et que t'as envie d'essayer quelque chose de différent, il faut être bien entouré. Toi-même t'es assez fragile et c'est plus facile de dire : « non finalement on le fait pas, gardons les choses comme prévues ». Pour aller au bout de l'idée, il faut que les gens autour fassent confiance et y croient un minimum. – Propos recueillis par Willy Orr. Photos : © Pyramide Distribution