SYSTEME K de Renaud Barret

– LE FILM DE LA SEMAINE : SYSTEME K –

Après Benda Bilili !, Renaud Barret revient avec une galerie de portraits d'artistes à Kinshasa au diapason de la brutalité d'une ville et de l'histoire violente d'un pays. Il raconte ici les dessous d'un tournage commando au milieu du ghetto.

 
« Je disais aux artistes : Appelez-moi la veille, et dites-moi où vous serez. Tu as plutôt intérêt à être léger. Les difficultés du tournage sont celles d'un pays où personne n'a de thune et où la police n'est pas payée. Ce qui veut dire : des incursions policières, des arrestations et des confiscations de matériel assez brutales. Ça vient parfois même de la population, parce qu'il y a une culture de la détestation de la caméra héritée de Mobutu qui disait que toute personne avec une caméra était suspecte et qu'il fallait la dénoncer. Moi, ça fait quinze ans que je connais Kinshasa et je parle la langue, donc je leur parle comme un voyou quand ça arrive. Ça désamorce tout. Mais c'est toujours le discours qu'on entend aux quatre coins de la ville : tu viens faire des images, tu viens faire du fric et nous on reste avec la misère que tu viens filmer…
 
La « maison-machettes »
L'œuvre de Freddy Tsimba, c'est massif. Il pose ses œuvres au milieu de la rue, ce qui a un coût parce qu'il faut payer les porteurs et les flics. Un truc pour être peinard, c'est le bakchich. Si tu ne règles pas un problème avec de l'argent, tu le règles avec beaucoup d'argent. Bref, on a tourné autour de la maison-machette sur une petite place, jusqu'à ce que ça parte en couilles. Les flics arrivent et moi je suis là avec ma caméra à l'épaule, je fais semblant d'arrêter de tourner, et je continue à l'aveugle… Jusqu'à ce qu'une deuxième brigade de flics arrive et là on m'a dit viens. Freddy a été arrêté le soir même. Ils ont confisqué des œuvres et ça s'est résolu avec de l'argent, évidemment.
 
Les déambulations de l'astronaute
Lui, c'est un gars complètement perché, ingérable, avec un costume en matériel électronique recyclé. Donc, c'est des coups de fil à 2 heures du matin, tu sors, tu prends une moto et tu vas le rejoindre là où il est. Un soir où l'on marchait dans une espèce de marché ouvert, il était en train de déambuler et là, c'est la foule qui l'a pris à partie. Les gens ont commencé à le molester, à le secouer dans tous les sens, en le traitant de sorcier. Ce sont des choses qui nous échappent…



Le diable en ville

Strombo Kayumba a fait plusieurs performances autour de cette idée que l'infamie est telle au sommet de ce pays que le diable a trouvé ses maîtres. Avec lui, comme on avait une journée de drone, on s'est dit que ça pourrait être intéressant de le filmer sur un toit, créer une envolée. Mais c'est un gars très brutal, un castagneur qui va aux poings tout de suite dès que les gens le chauffent. Il a des moments de poésie pure et des moments de folie… Le fait d'être artiste, au lieu de les rendre plus doux, ça les rend encore plus dingues. Ils ont cette lumière, cette lucidité qui sont un peu le privilège de l'artiste, mais ils mangent un repas par jour et ils ont la même vie que n'importe quel thug.

La procession « du bain de sang »
Majestikos m'a dit : Je veux faire un truc qui retourne le bide, parce que ce qui se passe me retourne le bide, (l'artiste arpente les rues de la ville dans une baignoire en se recouvrant de sang, ndlr). À la suite de sa performance, il a été convoqué par le gouverneur et puis il est parti en France. Il a fait une demande d'exil. Comme Strombo, qui commence à tourner aussi à Francfort, à Bâle… Pour eux, le film sera une bonne carte de visite et beaucoup ont rebondi. »

– Propos recueillis par Raphaël Clairefond