TALKING ABOUT TREES de Suhaib Gasmelbari

– LE FILM DE LA SEMAINE : TALKING ABOUT TREES –

Parmi la riche sélection du Black Movie Festival qui se déroule à Genève du 17 au 26 janvier, bien calé entre Lav Diaz et Pedro Costa, on trouve ce beau film qui sort un peu avant en France. Au Soudan, quatre cinéastes parcourent leur pays en mini-bus pour projeter des films dans les villages. Trop petits poissons pour tomber dans les filets de la censure, ils glissent entre les mailles du pouvoir dictatorial en place. Et ambitionnent de rénover un cinéma abandonné de Khartoum, la capitale.

 
Voilà trente ans que le général Omar el-Béchir était au pouvoir au Soudan, suite à un coup d'État orchestré avec le Front national islamiste. Ironiquement, en avril 2019, il sera renversé par un autre coup d'État, après des mois de manifestations populaires. Mais dans Talking About Trees, le documentaire nous plonge dans un pays où, en 2015, El-Béchir est tout juste réélu par 5 millions de votants, soit 94,5 % de la population. « C'est plus que la totalité des participants aux élections ! », s'amuse l'un des personnages principaux du film, entre amertume et désillusion.
Pourtant, le plus touchant dans l'aventure de ces mousquetaires de la pellicule, c'est de voir l'enthousiasme enfantin qui les habite à chaque instant. Quand ils nettoient le mur sale qui pourrait servir d'écran à leur grande projection, perchés sur un vieil escabeau rouillé. Quand ils sont obligés de se masser le dos après tant d'efforts. Quand ils se mettent au défi de sauter de la scène directement sur le sol, comme des mômes se diraient « t'es pas cap ! ». Un plan large les montre à droite du cadre, parcourant l'ancienne entrée du cinéma, tandis que de l'autre côté des enfants jouent au football. Il y a dans les deux groupes la même légèreté, la même drôlerie, le même plaisir d'être ensemble. Réunir les habitants autour de leur cinéma de quartier, voilà leur ambition. Il n'y a qu'à voir la réaction des badauds, tout excités à l'idée de voir le cinéma rouvrir, pour comprendre la passion qui porte ces quatre vieux messieurs.

 
Tonton flingueurs.
Mais Talking About Trees n'hésite pas pour autant à montrer crûment la situation précaire de ces artistes quasiment à la rue, sans argent ni reconnaissance. Ce sont des hommes qui ont appris le cinéma en Allemagne, à Moscou, au Caire, et qui ont marqué une partie de l'histoire du cinéma. Ils sont parfois de retour d'exil, parfois d'anciens prisonniers. Ils ont choisi de se retrouver dans leur pays pour essayer d'y faire survivre quelque chose de leurs films. Sauver ce qui peut encore l'être. Ils déambulent dans les vestiges des cinémas, où la pellicule est enfouie sous le sable et la poussière, abandonnée par « un jeune amant, le numérique ». Malgré tout, sans relâche, ils balaient. Une bobine vide roule sur le sol, comme le cerceau d'un enfant dans une cour d'école. Cette image cristallise tout le propos du film, mêlant l'enthousiasme et le jeu au deuil et à l'abandon.

Il y a une belle douceur à voir ces hommes manier leur smartphone et les vieilles caméras. Mais l'air restera aride, et le constat sans appel : leur rêve est inaccessible. L'administration, absurde et tentaculaire, est invincible. Le mégaphone acheté pour annoncer la projection en ville ne peut pas couvrir le bruit des minarets lors des prières. Reste à s'amuser, parler dedans sans l'activer puis mimer un tir de mitraillette avec. Comme des gosses. Willy Orr