PARIS, FRANCE – FEBRUARY 25: A general view of atmosphere during the 47th Cesar Film Awards Ceremony At L’Olympia on February 25, 2022 in Paris, France. (Photo by Francois Durand/Getty Images) (Photo by François Durand / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP)

Le jour où… Les César célébraient la pub

Dans les années 80, la publicité vit un âge d’or. Les spots rivalisent de créativité et bientôt d’adorables mascottes et d’entêtants slogans font leur entrée dans la culture populaire. Pour vivre avec son temps, l’Académie décide d’intégrer la réclame à son palmarès… Retour sur une vraie « fausse bonne idée ».

Le 2 mars 1985, les César du cinéma fêtent leurs dix ans au théâtre de l’Empire. La grande famille du septième art alterne entre les rires et les larmes alors que Les Ripoux devient la première comédie à remporter la récompense suprême et qu’un hommage est rendu à François Truffaut, récemment décédé. Au cours de la soirée, un nouveau prix fait son apparition : le César du meilleur film publicitaire. Une fois n’est pas coutume, les œuvres en compétition vantent les mérites d’Orangina, Maggi, Kodak et Peugeot. Six réalisateurs sont en lice. Les stars de la direction artistique Jean-Paul Goude et Jean-Baptiste Mondino. Yves Lafaye, principalement connu comme directeur de la photo des films de Doillon ou Robbe-Grillet. Étienne Chatiliez qui n’a alors jamais mis en scène de long-métrage et Gérard Pirès qui est déjà un réalisateur de films populaires. Enfin, Jean-Jacques Annaud, lauréat du César du meilleur film (tout court) pour La Guerre du feu en 1982. Coiffant au poteau les petits hommes verts de Lustucru, c’est ce dernier qui décroche le trophée pour un spot réalisé à la gloire de Hertz. En récupérant sa compression dorée, le cinéaste est fier de constater que le “cinéma publicitaire” ne se fait plus “dans l’ombre et en ayant honte”. Large boule de cheveux bouclés et nœud papillon rouge, le quadra argumente : “Ce qu’on disait tout à l’heure à propos du court-métrage, on pourrait le dire à propos du film publicitaire : je crois que c’est un merveilleux endroit pour apprendre le cinéma. Et c’est un des rares endroits où l’on a les moyens de faire ce que l’on a envie de faire. Je ne sais pas si vous savez que tous les films cités ont coûté à peu près 2 millions de francs !
Au mitan des années 80, de nouvelles formes visuelles font effraction dans l’imaginaire collectif. Parmi elles, la BD telle que réinventée par Métal Hurlant et Fluide Glacial, et le clip porté par le succès du Thriller de John Landis. La publicité télévisée de marque, apparue en France en 1968, est également en pleine ébullition. Chaque jour, les écrans domestiques s’animent de sketchs fantaisistes dans lesquels des femmes dansent sous les tropiques et où d’attendrissantes mascottes chantent les louanges du chocolat en poudre. Malgré les mises en garde d’une partie de la critique – dans Libération, Serge Daney pourfend “le visuel”, images conçues pour vendre et communiquer – ces esthétiques profanes et novatrices innervent rapidement le cinéma. Dès 1981, Jean-Jacques Beineix inaugure avec Diva ce qu’on appellera bientôt le “cinéma du look”. En sens inverse, nombreux sont les cinéastes qui, entre deux projets au long cours, profitent de ces années fastes en se mettant au service de concepteurs-rédacteurs et de leurs slogans. C’est dans ce contexte de mélange des genres que Georges Cravenne, fondateur des César et attaché de presse, décide d’instaurer le trophée de la meilleure réclame. Son fils, François-David Cravenne, rembobine : “Mon père avait trouvé sa voie en montant les César et, au milieu des années 80, il était en train de développer la Nuit des Molières, les 7 d’Or et les Victoires de l’entreprise. Il voulait franchiser les César dans tous les domaines de la société. La pub ne lui a pas échappé.” Trente-neuf ans après avoir reçu son prix, Jean-Jacques Annaud reste sur la même ligne : “Il faut comprendre que dans ces années-là, le cinéma français c’était encore beaucoup de ‘films en chambre de bonne’. On était très en retard dans le domaine du montage, de la machinerie et des effets spéciaux. Seule la publicité encourageait et finançait l’innovation. Et je peux vous dire que tous les grands chefs opérateurs de la Nouvelle Vague frappaient à ma porte pour savoir comment j’avais mis en scène tel plan dans telle publicité.” Le réalisateur de L’Amant est catégorique : “S’ils n’avaient pas fait leurs classes dans la publicité en ces temps bénis, on n’aurait jamais eu les films de Ridley Scott, d’Alan Parker et même de Michael Cimino.”

RIPOUX – CLAUDE ZIDI – FILM 7 © Collection Christophel


La course aux armements
En 1986, la Nuit des César est présentée par Michel Drucker. La cérémonie n’a plus lieu au théâtre de l’Empire mais au Palais des Congrès. Une nouvelle comédie, Trois hommes et un couffin de Coline Serreau, est sacrée meilleur film. Sur la ligne de départ pour le second César du meilleur film publicitaire, on retrouve Jean-Paul Goude et Etienne Chatiliez. Deux nouveaux prétendants font leur apparition : Sarah Moon, venue défendre son travail pour Cacharel, et Jean Becker, dont la carrière de cinéaste est en pause depuis 1966. Le fils de Jacques Becker emporte la mise grâce à une publicité pour Citroën qui marquera longtemps les esprits. L’année précédente, le film de Gérard Pirès pour Peugeot parodiait l’univers de James Bond à grands frais. Le futur réalisateur de Taxi y filmait une 205 esquivant les missiles d’un hélicoptère de combat dans le désert namibien. Pour Jean Becker et l’agence RSCG, il s’agit donc de jouer la surenchère. Munie de quatre caméras et d’un hélicoptère, l’équipe met en boîte un script over the top.  Dans les entrailles du porte-avions Clemenceau, l’heureux possesseur d’une Visa GTI parade devant les pilotes. L’un d’eux lui propose une course. Quelques instants plus tard, sur le pont du bâtiment, un Super-Étendard Dassault s’envole. Le bolide Citroën est catapulté à son tour et réussit à prendre de vitesse l’avion de chasse avant de couler à pic. Les militaires ne rigolent pas longtemps : la Visa GTI réapparaît posée sur un sous-marin faisant surface. Julien Clerc vient clore le spectacle en chantant un sibyllin : « Elle décoiffe et moi j’arrache avec elle. »
Des décennies plus tard, sur le plateau de C à Vous, Jacques Séguéla, patron de l’agence en question et conseiller en communication de François Mitterrand, racontera les coulisses de ce pinacle du cinéma publicitaire. “L’idée était formidable mais il me fallait trouver un porte-avions et un sous-marin. J’ai envoyé des équipes en Russie parce qu’à l’époque tout y était à vendre, tout y était à louer. Ils sont revenus bredouille. Aux États-Unis, pareil. Alors je me suis dit : ‘Il n’y a que Tonton qui peut me sauver, il faut que j’appelle le Président de la République.’ Mitterrand me reçoit à l’Élysée, il regarde mes dessins et il dit : ‘Ça ne vendra pas une voiture, mais c’est très bien pour l’armée française.’”
Lors de la douzième Nuit des César, en 1987, la catégorie “meilleur film publicitaire” disparaît aussi soudainement qu’elle était apparue, mettant définitivement fin au confusionnisme. François-David Cravenne explique aujourd’hui cette évaporation : “Mon père avait compris qu’il fallait que les César restent sur leur cœur de métier, les films de cinéma. À ce moment, son idée était de créer une autre cérémonie intégralement dédiée à la pub. On a organisé un dîner au Fouquet’s avec tous les gros publicitaires de l’époque, mais il se trouve que cet événement n’a jamais été mis sur pied.
Dans les années suivantes, de nouveaux trophées verront le jour avant de sombrer à leur tour. Ainsi du César de la meilleure affiche (autre proposition des années 80), du César célébrant le meilleur film européen (remis en 1989 puis entre 2003 et 2005) ou du César du public, créé pour reconnecter avec la comédie populaire. Des récompenses qui rappellent que l’Académie – récemment critiquée pour ne pas prendre en compte l’évolution de la société – a su aménager son palmarès pour coller à l’air du temps. On ne s’étonnera donc pas si le futur nous réserve un César du meilleur film conçu par une Intelligence Artificielle, du meilleur casting inclusif ou celui de la meilleure Propriété Intellectuelle. Ce jour-là, les petits hommes verts de Lustucru tiendront leur revanche.

Une story dans Sofilm n°101, en kiosque !