UNE FILLE FACILE de Rebecca Zlotowski

– En salles : UNE FILLE FACILE –

Vous regrettez déjà vos vacances, le soleil, la mer ? Ne ratez pas l’occasion de visiter la Côte d’Azur en compagnie de Zahia Dehar dans le nouveau film de Rebecca Zlotowski, critique légère et solaire d’un monde très noir dont la lourde facade finit par s'effriter.

Conte d’été initiatique, Une fille facile raconte l’histoire d’une fascination. Celle de Naïma (Mina Farid), 17 ans, pour sa cousine Sofia (Zahia Dehar), escort girl venue à Cannes pour les vacances. Dès la séquence inaugurale du film, le corps de la jeune femme frappe par sa dimension iconique : Sofia apparaît quasi nue, vêtue d’un simple monokini, promenant telle une sirène sa silhouette pneumatique dans une baie cristalline, réincarnation bling-bling de Brigitte Bardot dans Et Dieu créa la femme. À travers le point de vue de Naïma, les gros plans sur le visage boudeur de la belle, sur ses longs ongles vernis et son tatouage en bas du bassin forment un vrai blason hypnotique. Ce qui fascine aussi la jeune fille, c’est l’apparente liberté de la provocante cousine, elle qui aime créer le désir et se fiche des insultes avec la désinvolture des héroïnes de la Nouvelle Vague.
Sofia et Naïma font la connaissance de nouvelles proies : Andres (Nuno Lopes), collectionneur d’art propriétaire d’un yacht, et Philippe, son assistant (Benoît Magimel). La transgression sexuelle devient alors une odyssée sociale vertigineuse : les deux jeunes femmes naviguent au sein d’un espace vertical brutalement compartimenté entre les riches et les autres, circulant d’un dancefloor à son espace VIP, de l’immeuble en bord de voie ferrée de Naïma et sa mère au bateau de l’homme d’affaires. Le périple de Naïma au pays des riches consiste à y découvrir un territoire invisible, dissimulé au regard du passant, à l’image de cette île uniquement accessible par voie de mer, celle de la millionnaire Calypso (Clotilde Courau). Sous le signe d’Homère, la jeune fille est un nouvel Ulysse qui subit l’ensorcellement du luxe. Les objets deviennent de vrais fétiches – un sac Chanel est filmé comme un objet de vénération, timidement caressé des doigts.

 

Le charme du film tient alors à son ambiguïté, à cette façon de dévoiler sans cesse l’artificialité de ces images envoûtantes. Sofia a des secrets de fabrication peu reluisants : manger avant de dîner pour mieux draguer, se faire des yeux de chat avec du scotch, et son apparente insouciance a son triste envers de solitude et d’humiliations. Philippe, malgré ses dehors élégants et sa bienveillance protectrice à la Jean Gabin (un beau rôle où Magimel excelle), mène la vie d’un larbin. Quant à Naïma, son personnage se rapproche de celui de Prudence dans Belle Épine, premier long métrage de Zlotowski,dont la quête d’interdit était une fuite de soi. Dans ce conte rohmérien, l’hésitation identitaire se substitue en effet à l’hésitation amoureuse. La jeune fille oscille entre deux modèles de vie, celui de Sofia, matérialiste et dépendant du désir masculin, et l’autre plus autonome, où la jeune fille commencerait à travailler en cuisine pour devenir cheffe. Seule la désillusion à l’égard de la vie de sa cousine rendra possible son choix. La convocation du mythe Bardot prend alors tout son sens : la resplendissante Sofia n’est finalement qu’un fantasme, aussi évanescent qu’un instantané Snapchat. Sous ses airs de marivaudage estival, Une fille facile est une formidable traversée platonicienne des apparences, où la vraie liberté naît d’un lent processus de démystification des images de la vie rêvée de la material girl. Juliette Goffart