INDIANARA de A. Chevalier-Beaumel et M. Barbosa.

– LE FILM DE LA SEMAINE : INDIANARA –

Découvert à l'ACID à Cannes cette année, Indianara fait le portrait d'une des figures du militantisme LGBT brésilien : Indianara Siqueira. Une assoiffée de justice prête à se battre de toutes ses forces, même si elles lui manquent, pour nourrir l'espoir et la flamme de ceux qui l'entourent…

 
Un cercueil en bois. Une petite procession. Quelques personnes avec des fleurs. Une se détache du groupe, brise-glace dans l'atmosphère froide des tombes alignées et du trou dans lequel on dépose les roses. Face à tous les morts qui lui font face, elle s'interroge : à quoi bon définir les gens par une couleur, un genre, une orientation sexuelle ? Tout cela est caduc, on finira tous au cimetière. Cette femme trans avec ses grandes lunettes de soleil, c'est Indianara Siqueira.
Ancré dans la « Casa Nem », un foyer géré par Indianara où se réfugient des membres de la communauté LGBT de Rio, le film suit la vie de ce groupe politisé. Symboliquement, on les accompagne non seulement en manif, ou durant de grands moments politiques, mais surtout dans les derniers jours du refuge. Expulsé.e.s, abandonné.e.s par la gauche, elles doivent migrer et trouver un nouveau lieu où exister. Habiter une demeure au sens le plus concret du terme, s'ancrer là où il leur sera possible de vivre libres et protégé.e.s.
Plusieurs événements viennent ponctuer la vie d'une Indianara de plus en plus épuisée par le combat mais toujours vaillante. Deux drames en particulier. Le premier, le meurtre de Marielle Franco, membre du conseil municipal de Rio et principal soutien de la communauté LGBT. Son enterrement public renvoie à la première cérémonie du film, beaucoup plus intimiste. La mort est partout, la justice nulle part. Le deuxième séisme, c'est bien sûr l'élection de Bolsonaro, comme un second assassinat, programmé, des droits et de l'avenir des minorités, de la culture, de toute une frange de la population. Entre ces deux grands moments, on navigue entre l’intimité de la Casa Nem, qui n'en a plus pour longtemps, et celle de Indianara.

 
Tank de guerre peint en rose choc.
Il y a une certaine beauté à la voir plus à l'aise un masque à gaz sur le front dans les cortèges plutôt qu'en robe de mariée, lorsqu'elle se résout à épouser l'homme de sa vie, Mauricio. Elle le fait pour lui, sans oublier de rappeler avec malice lors de son discours qu'elle restera tant qu'il y aura de l'argent à lui croquer. Pourtant, ce couple apporte une vraie tendresse au film, un amour évident, sincère, qui nous rapproche encore plus des enjeux plus politiques de la vie d'Indianara.
Il y a certes une dualité évidente et presque comique entre un Mauricio casanier, ardent mâle qui fait des altères dans sa cave et nettoie sa baraque en slip d'un côté, et une Indianara toujours dehors à risquer sa vie en manifestation pour être la porte-parole d'un combat qui la dépasse. Mais la sincérité de leur amour n'est pas à ça près. La séropositivité de Mauricio est au cœur du film, car Indianara revendique de faire partie d'un couple « séro-différent ». Or, les gens partent du fait que c'est elle qui est malade, et cette situation exprime parfaitement l'absurdité du climat dans lequel elle doit lutter. Ainsi, Indianara est une militante, libre et aimée, mais prête à se battre jusqu'à l'épuisement pour celles et ceux qui l'accompagnent. Dans une chanson, elle se définit comme un tank de guerre peint en rose choc. Une image parfaite pour une guerrière qui perd (et perdra encore) plusieurs batailles sans pourtant jamais renoncer. Willy Orr


Indianara, un film documentaire de Aude Chevalier-Beaumel et Marcelo Barbosa. En salles.