PAHOKEE, UNE JEUNESSE AMERICAINE de I. Lucas et P. Bresnan

– LE FILM DE LA SEMAINE : PAHOKEE, UNE JEUNESSE AMERICAINE –

Vous aimez les documentaires proches de leurs sujets, contemplés avec honnêteté, candeur, et douceur, de ceux qui décrivent des réalités aussi simples que rarement vues sur grand écran ? Vous trouvez qu’ils sont rares ? Vous avez raison sur tout. Et cette exploration de la vie de quatre adolescents à l’approche de la rentrée scolaire en Floride va satisfaire toutes vos attentes.

 
Sur la scène, elle fait face à un public de parents et de proches. Tous ont sorti leurs habits les plus apprêtés. Plusieurs ont braqué les caméscopes numériques ou les smartphones histoire de saisir l’émotion réelle des lauréats en rang serré en ce jour de remise de diplômes. Elle, comme ses camarades, sourit, pique un fard, puis deux, flotte dans ce costume aux reflets argentés. Ainsi veut la tradition en Amérique : c’est le rouge aux joues et fagoté façon bonbon à la menthe fraîche qu’on célèbre la fin du lycée. Mais avant de dire adieu à l’adolescence et à sa petite ville de Pahokee, Floride, moins de 7 000 habitants, la jeune Jocabed Martinez doit engager un discours : elle veut rendre hommage à ses parents, immigrés mexicains désormais installés en Floride. Les remercier d’avoir grandement contribué à la suite de sa jeune histoire qui se jouera sur le campus de l’Université de Floride. Dire devant toute la communauté réunie qu’ils sont forcément plus que ces « petites gens » trimant matin, midi et soir au milieu des odeurs de graisse pour préparer des tacos vite avalés. « Ils ont quitté notre pays, le Mexique, et sont venus ici pour offrir une meilleure vie à leurs enfants. » Plan rapide sur le visage des parents et grands-parents de Jocabed. Mâchoires serrées et regard humide, ces derniers contiennent du mieux qu’ils peuvent l’émotion. Pas toujours facile d’entendre, de la bouche de leur fille, un refrain plus doux que celui distillé par l’embarrassant locataire de la Maison-Blanche : « Notre système est complet, on ne peut plus vous accepter. Notre pays est complet. »

Il y a des dizaines et des dizaines de scènes comme celle-ci dans le très beau documentaire Pahokee, une jeunesse américaine. En apparence banales et sans enjeu, elles saisissent cette Amérique rurale si rarement documentée et la découpent en autant de flashes d’humanité exempts de pathos et parfois imperceptibles à l’œil nu. Cela se joue dans des minuscules détails tous reliés à l’intime ; des couleurs, des tissus, des paroles, des gestuelles, des regards. Pahokee, une jeunesse américaine a le souffle patient des films réalisés et montés à égalité avec leurs sujets. Un film qui affirme que l’école de cinéma vérité établie par feu Donn Alan Pennebaker est encore vivante tant qu’elle continuera à répondre au flot des images en continu par la lenteur, la patience et une certaine foi, tout à fait rationnelle, en l’accident. Parfois ce sont des travellings sur des lycéens portant haut la fierté locale à chaque match de leur équipe de football U.S. D’autres, la caméra d’Ivete Lucas et Patrick Bresnan épouse le tempo faussement indolent des préparatifs de l’élection des Miss dont l’enthousiaste Na’Kerria est le personnage central. Enfin, que serait cette plongée dans la jeunesse américaine sans la figure d’un unsung hero, incarné pour le coup sous les traits de Junior, lycéen jonglant du mieux qu’il peut entre la garde de sa petite fille d’un an, ses études et son activité de batteur au sein de la fanfare locale ? De ce dispositif qui n’en est jamais totalement un, résulte un film à hauteur de visages, de corps et d’espoirs murmurés à voix basse. Un film teinté, qui malgré sa moiteur et ses couleurs saturées, prend parfois la forme d’un blues moderne réalisé par Sean Baker (Tangerine, The Florida Project) et mis en musique par Gil Scott-Heron. À ceux qui voudraient savoir à quoi ressemble le grand roman de l’Amérique contemporaine, disons qu’il s’écrit sur le visage d’une lycéenne mexicaine fraîchement diplômée. Ici, maintenant. Jean-Vic Chapus